Antéchrista Explorateur du monde lecteur
Nombre de messages : 53 Age : 35 Localisation : Rouen Emploi : Etudiante Loisirs : Lecture, écriture, musique, informatique, .. Date d'inscription : 12/06/2007
| Sujet: La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna Mer 19 Sep - 17:58 | |
| Résumé :
La grammaire est une chanson douce est une fantaisie joyeuse. Jeanne, la narratrice, pourrait être la petite sœur d'Alice, l'héroïne de Lewis Caroll, précipitée dans un monde où les repères familiers sont bouleversés.
Avec son frère aîné Thomas, elle voyage beaucoup : leurs parents sont séparés et vivent chacun d'un côté de l'Atlantique. Un jour, leur bateau fait naufrage et, seuls rescapés, et privés de leurs mots, ils échouent miraculeusement sur une île inconnue. Accueillis par Monsieur Henri, un musicien poète et charmeur, ils découvriront un territoire magique où les mots mènent leur vie : ils se déguisent, se maquillent, se marient.
C'est une promenade dans la ville des mots, pleine d'humour et de poésie, où les règles s'énoncent avec légèreté. Les tribus de verbes et d'adjectifs, les horloges du présent et du passé s'apprivoisent peu à peu, au rythme des chansons douces de Monsieur Henri.
Extrait :
Les mots dormaient. Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller. Bêtement, je tendais l’oreille : j’aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n’entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit. Nous approchions d’un bâtiment qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante. -Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri. Je frissonnai. L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit. Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens. Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots ; Les couloirs étaient vides. Seule nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol. Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l’une des portes, telle une lettre qu’on glisse discrètement, pour ne pas déranger. Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d’entrer. Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : Je t’aime Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide. Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu’elle nous parlait : -Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose. -Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied. Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu’on raconte aux malades. Sur le front de Je t’aime, il posa un gant de toilette humecté d’eau fraîche. -C’est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie. « Un peu fatiguée », « un peu dur », Je t’aime ne se plaignait qu’à moitié, elle ajoutait des « un peu » à toutes ses phrases. -Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi. Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains. La petite biche est aux abois Dans le bois se cache le loup Ouh ouh ouh ouh Mais le brave chevalier passa Il prit la biche dans ses bras La la la la -Viens Jeanne, maintenant. Elle dort. Nous reviendrons demain.
-Pauvre Je t’aime. Parviendront-ils à la sauver ? Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi. Des larmes me venaient dans la gorge. Elles n’arrivaient pas à monter jusqu’à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer. -… Je t’aime. Tout le monde dit et répète « je t’aime ». Tu te souviens du marché ? Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ ? Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver. Tu veux rendre visite à d’autres malades ? Il me regarda. -Tu ne vas pas t’évanouir, quand même ? Il me prit le bras et nous quittâmes l’hôpital. (Pages 85 à 89)
Fatras - Autre extrait
Critique/Presse :
Une grammaire en forme de conte. Voilà qui devrait réconcilier les esprits récalcitrants avec la syntaxe. Avec La grammaire est une chanson douce (Stock), le projet ambitieux d'Erik Orsenna est de transmettre la saveur de la langue à de jeunes têtes mises à mal par un enseignement scientifico-jargonneux qui a rompu avec toute notion de plaisir. Ainsi de cette analyse de la fable Le loup et l'agneau, où «les vers 27 à 29 sont constitués de deux propositions narratives qui ont pour agent S2 (le loup) et pour patient S1 (l'agneau), les prédicats emporter/manger étant complétés par une localisation spatiale (forêts)» ! Peu sensible à ces méthodes de médecin légiste, notre académicien raconte la grammaire. A travers l'histoire de deux enfants qui, rescapés d'un naufrage, échouent sur une île. Mais la tempête qui a fait chavirer le navire les a privés de parole. Qu'à cela ne tienne ! M. Henri, poète et musicien, va leur faire découvrir une contrée magique peuplée de mots qui vivent leur vie, se déguisent, se marient. Certains sont conscients de leur importance : «analyse d'urine», «carburateur»; d'autres cabriolent sans retenue : «soutien-gorge», «huile d'olive». Parmi eux, des célibataires endurcis - les adverbes, de vrais invariables impossibles à accorder - ou des prétentieux - les pronoms, toujours prêts à piquer la place d'un nom. | |
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Acid Queen Admin
Nombre de messages : 2437 Age : 34 Localisation : En Vacances !!! Emploi : Terminale L Loisirs : Lire, Ecrire, Aimer ^^ Date d'inscription : 08/05/2007
| Sujet: Re: La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna Sam 22 Sep - 17:23 | |
| ça à l'air génial ^^ comme toujours je prends note ! | |
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.Lunati. Lectrice en herbe
Nombre de messages : 230 Age : 30 Localisation : Paris Emploi : Bientôt lycéenne Loisirs : Littérature, Musique, Création Graphique Date d'inscription : 09/08/2007
| Sujet: Re: La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna Sam 22 Sep - 20:19 | |
| Je l'ai lu ! J'ai adoré ! L'histoire est magnifique je trouve, si poétique... Je vous le conseille vivement | |
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| Sujet: Re: La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna | |
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